Les organisations socio-économiques[1] ne font pas que produire ou vendre des biens ou des services : elles prennent aussi quotidiennement des décisions. Certaines ne font même que cela[2] ! Le management des organisations (comme celui des équipes qui les animent et les dirigent) ne concerne donc pas seulement la production, la commercialisation, les ressources humaines ou l’innovation technologique : il faut également manager l’activité décisionnelle.

Dans un monde toujours plus exigeant, les managers[3] sont naturellement considérés comme “responsables“[4]. Ils doivent donc fonder leurs décisions (et les processus qui les génèrent) sur les arguments les plus rationnels possibles — et, à cette fin, utiliser les informations les plus pertinentes possibles. Ainsi, pour bien manager les organisations aujourd’hui, il convient de se soucier tout autant du management des systèmes de décision que de celui des systèmes d’information.

Activité cruciale qu’il convient de manager avec soin, la décision n’est pourtant que très peu étudiée en tant que telle par les sciences économiques ou les sciences de gestion. Elle n’est en effet généralement abordée que comme le champ d’application d’autres théories (théorie des jeux, microéconomie, diverses branches des mathématiques, du calcul des probabilités, des statistiques ou de l’informatique). Et dans les situations concrètes, les décisions sont souvent prises pragmatiquement, avec “les moyens du bord“, sans nécessairement utiliser les modèles théoriques[5] issus de ces sphères académiques… Elles ne sont pas forcément irrationnelles pour autant ! Y aurait-il ainsi plusieurs types de rationalités possibles ?

Une réflexion s’impose donc sur la manière dont les décisions se prennent et se managent pragmatiquement, concrètement et quotidiennement dans les organisations, ainsi que sur les rationalités qui sont à l’œuvre à ces occasions. Cela devrait nous permettre de comprendre s’il existe un rapport entre ces manières pragmatiques de “faire la décision[6]“ et ce que les théories académiques de la décision considèrent généralement comme une “décision rationnelle“.

Le but principal de cet enseignement est de présenter les termes essentiels des débats soulevés par ces questions et d’en cerner les principaux enjeux. Pour ce faire, nous nous aiderons des travaux de Herbert A. Simon[7], qui fut le grand pionnier de ces sujets au XXe siècle. Ces discussions nous fourniront également l’occasion d’aborder, de définir et d’expliquer d’autres notions pertinentes :

-        Le concept de complexité : c’est en effet un concept essentiel qui permet de distinguer les formes de rationalité qui sont à l’œuvre dans le management des systèmes d’information et de décision. Grâce à lui, on peut mieux comprendre ce qui éloigne les pratiques pragmatiques de la décision dans les organisations des recommandations en termes d’optimisation issues des théories académiques usuelles.

-        Les notions de “société de l’information“, de “société de la connaissance“, de “société numérique“ ou de “capitalisme cognitif“ : elles sont devenues incontournables pour caractériser les sociétés contemporaines et permettent de souligner le caractère aujourd’hui encore plus stratégique et incontournable du management des systèmes d’information et de décision et des réflexions qu’il implique.

Pour finir, on notera que ce cours correspond à ce qu’on appelle généralement un “enseignement de spécialité“, qui pourra être d'une très grande utilité aux étudiants — quelle que soit leur orientation ultérieure et leur profession future. Il nécessitera un grand nombre de réflexion et de lectures complémentaires de la part des étudiants, ce qui constituera une bonne préparation pour une poursuite d'études au niveau Master.



[1] Quelle qu’en soit leur caractéristique formelle, juridique ou institutionnelle : entreprises “classiques“ (qui sont généralement des sociétés privées capitalistes et marchandes), administrations publiques, coopératives, associations et autres structures privées à but non-lucratif.

[2] Qu’on pense par exemple à un organisme de Sécurité Sociale ou à une entreprise spécialisée dans la certification “qualité“ ou “commerce équitable“ des clients qui les sollicitent à cet effet.

[3] Les cadres, les dirigeants, les chefs de service, les chefs d’équipe ou autres chargés de projets que les étudiants aspirent à devenir un jour…

[4] Ce qui signifie d’abord qu’ils doivent répondre de leurs actes et de leurs décisions, et donc qu’ils doivent être capables de rendre des comptes de manière convaincante et rationnelle — ce que les anglo-saxons désignent par le terme “accountability“.

[5] Le plus souvent, ces modèles sont à base de calculs et d’algorithmes.

[6] Les anglo-saxons ne parlent-ils pas de “decision making processes“ pour distinguer les décisions des processus qui les fabriquent ou les génèrent ?

[7] Économiste, politiste et psychosociologue, Herbert Alexander Simon (1916-2001) était un spécialiste américain (États-Unis d’Amérique) renommé de “sciences administratives“ et de science politique, de sociologie et de management des organisations, de sciences informatiques (à peine émergentes à son époque), de systèmes d’information et de décision, ou encore d’Intelligence Artificielle. Connu avant tout pour ses nombreux travaux portant sur les processus de décision dans les organisations et sur les formes de rationalité “limitée“ qu’ils mobilisent, il fut le lauréat de nombreuses reconnaissances institutionnelles de portée internationale — à commencer par le « Prix Nobel d’économie » (plus exactement intitulé « Prix de Sciences Économiques de la Banque de Suède en la mémoire d’Alfred Nobel »), qui lui fut décerné en 1978.

diplomes:
L3 AES